La France dispose d’un maillage routier dense, mais il existe encore des territoires mal desservis ou au trafic trop congestionné. Les habitués du trajet Poitiers-Limoges sur la RN147 en savent quelque chose. Ils sont nombreux à s’être arraché les cheveux, coincés derrière un semi-remorque sur les longues lignes droites vallonnées qui ne permettent aucun dépassement, faute de visibilité. Les collectivités locales ont fait le forcing, le dossier est revenu début 2020 sur le bureau du ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari. Budget : 850 millions d’euros. Comme pour le reste du réseau national, l’État laisserait ici à une société concessionnaire d’autoroute (SCA) le soin d’investir pour développer cet axe qui voit défiler entre 1 600 et 1 800 poids lourds chaque jour. Une solution alternative bienvenue qui devrait aussi être le moyen de rendre la route plus respectueuse de l’environnement.
L’autoroute décarbonée, un objectif réalisable
En France, l’État s’est en effet engagé à décarboner le secteur des transports d’ici 2050. Cela passe par la fin des véhicules thermiques dont la commercialisation s’arrêtera en 2040, et par de nouveaux modes de construction des autoroutes par les SCA. État et entreprises privées marchent main dans la main dans cette nouvelle aventure, que ce soit pour la construction de nouveaux tronçons ou pour la rénovation de ceux existants. Objectif : faire plonger la part des autoroutes (20%) dans les émissions de CO2 du secteur des transports. Chez Vinci Autoroutes – qui gère 4443km sur les 9200km du réseau français –, la stratégie transversale en place se nomme Autoroute bas carbone.
Le principe ? « Les deux axes principaux de l’Autoroute bas carbone sont le développement des modes de transports partagés et l’offre d’énergies décarbonées, par exemple en généralisant les bornes de recharge électrique et hydrogène sur les aires, en multipliant les voies réservées au covoiturage et aux transports collectifs, ou encore en créant des hubs multimodaux, explique Pierre Coppey, PDG de Vinci Autoroutes. Si l’on ajoute à cela la multiplication des dispositifs de tri et les actions de protection de la biodiversité et des milieux naturels, on comprend que l’autoroute est une infrastructure d’avenir, qui va contribuer à réaliser la transition écologique des mobilités. » Outre les nouvelles installations en cours, Vinci Autoroutes a repensé ses méthodes de travail pour consommer moins d’énergie et d’eau, et faire la part belle au recyclage. À commencer par celui des matériaux constituant les agrégats d’enrobés des chaussées, potentiellement réutilisables à 100%.
Vers davantage de mobilité partagée
Pilier de l’autoroute bas carbone, la mobilité partagée se résume – en quelques mots – à développer le covoiturage et l’utilisation des transports en commun. Tous les grands opérateurs travaillent en ce sens, avec la construction de nouveaux parkings à l’entrée des autoroutes ou la mise en place de files de circulation destinées au seul covoiturage. Une partie de l’A6, du côté de Mâcon, fait actuellement l’objet d’un test. Ici, l’opérateur APRR a d’abord équipé un tronçon de capteurs pour calculer le nombre d’occupants par véhicule. Tout au long du parcours, des messages de sensibilisation viennent promouvoir auprès des automobilistes les bienfaits des voitures partagées. À terme donc, l’installation pérenne d’une voie dédiée au covoiturage. « Le projet est d’expérimenter une voie réservée aux véhicules ayant un nombre d’occupants élevé, sur la voie la plus à gauche, explique Françoise Congestri, cheffe de projet innovation chez APRR. Sur les axes périurbains, nous étudions Grenoble et Lyon. » À terme, ce dispositif pourrait être généralisé à l’ensemble du réseau géré par APRR.
Les solutions de covoiturage sont multiples. L’an dernier en région parisienne, Vinci Autoroutes a par exemple mis en place un partenariat avec BlaBlaCar pour faire se rencontrer conducteurs et clients sur des aires dédiées. Autre partenariat pour Vinci Autoroutes, cette fois avec Renault, PSA et Vedecom, le projet Trapèze, dans la région Occitanie présidée par Carole Delga. Une expérimentation se déroulera sur l’A68 ou l’A64 pour l’extension des transports en commun sur autoroute et pour les futurs véhicules autonomes. « La route du futur, c’est faire mieux avec moins », résumait Thierry Goger, secrétaire général du FEHRL (Forum of European National Highway Research Laboratories) lors des Journées Techniques Routes, en mars dernier. Pour atteindre l’ambitieux objectif de l’État français de réduction drastique des émissions de CO2, les sociétés autoroutières ont donc une double recette : investir pour développer une mobilité plus durable et plus écologique, et économiser les ressources.
Repenser la fluidité autoroutière
Pour réduire ces émissions de CO2, les opérateurs autoroutiers ont également un autre levier : généraliser des solutions pour fluidifier le trafic des véhicules particuliers et des poids lourds. En Haute-Savoie, la Société des autoroutes Rhône-Alpes est en train de rénover le péage de Rumilly sur l’A41. Fin novembre, elle a commencé les travaux d’aménagement d’une file d’entrée de télépéage, permettant aux automobilistes de ne plus avoir à s’arrêter au moment d’entrer sur l’autoroute.
Cette idée « de ne pas s’arrêter » est aujourd’hui poussée plus loin. En Normandie, l’opérateur autoroutier Sanef a annoncé en 2019 le projet de rayer de la carte ses gares à péage sur l’A13. « Nous avons en projet de supprimer l’intégralité des péages entre Paris et Caen, explique Arnaud Quémard, directeur général de Sanef. L’idée est que les utilisateurs payent leur péage, non pas en s’arrêtant tout le temps, mais en roulant à 130km/h. Cela permettra de garantir la fluidité du trafic, soit 2,1 millions d’heures de conduite économisées. C’est un projet écologique : par un retour à la nature d’un certain nombre de surfaces aujourd’hui bétonnées, et par des économies de carburant et donc d’émissions de CO2. Sur une année, selon nos calculs, le fait de s’arrêter et de repartir d’un péage est l’équivalent de la consommation annuelle de 11000 véhicules. » Le genre d’idée qui devrait plaire à la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili dont la bataille contre les moteurs thermiques (surtout diesel) fait régulièrement la Une des journaux.
Quelles autoroutes dans dix ans ?
Dans un avenir à peine plus lointain, les autoroutes françaises vont voir leur fonction se transformer radicalement. Une entreprise tricolore est en pointe sur de nombreux projets de recherche et développement. Eurovia veut transformer la route elle-même en borne de recharge. Elle mène actuellement des tests de routes à induction afin de permettre aux utilisateurs de voitures électriques de ne plus être limités par l’autonomie de leur batterie. « Le problème du rayon d’action persiste puisqu’avec un véhicule électrique de moyenne gamme, il est possible de faire 250, peut-être 300km, remarque Didier Deschanel, directeur de l’innovation d’Eurovia. Cela ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins des utilisateurs. » La solution ? Des routes électriques permettant la recharge des véhicules pendant qu’ils roulent. En 2021, les Français d’Eurovia et l’énergéticien allemand EnBW AG mèneront un test grandeur nature, sur un site privé, en intégrant leur dispositif aux enrobés utilisés habituellement pour asphalter les voies de circulation. « Il y a encore deux ans, lorsque nous parlions de cette technologie, on nous regardait avec étonnement, se souvient Didier Deschanel. Or, désormais, les propositions sont concrètes, les projets se sont multipliés et les demandes frémissent. » Ce système révolutionnaire pourrait débarquer sur les autoroutes françaises d’ici quelques années. Et ce n’est pas de la science-fiction.